« Il bouge encore » de Jennifer Murzeau

9782221145739

« Trop de rituels. Vautré sur un banc, face aux murs d’une école, le coccyx malmené par la dureté du bois, les jambes écartées et le regard flou, Antoine les a énumérés. Puis il les a trouvés suspects. Trop nombreux, donc suspects. Il s’est dit qu’ils avaient lissé sa vie, qu’il avait laissé son existence s’aplatir sous leur poids. Ils ont décapité les reliefs, comblé les aspérités, ils lui ont fait une petite vie, ces rituels, toute petite et prévisible. Sans le fard du travail, elle lui est apparue, elle est venue le frapper au visage, sa vie, lui serrer la gorge. »

Par un matin ensoleillé, Antoine est licencié. Le choc est brutal. Son couple tangue, ses certitudes s’effondrent, son ego vacille. Mais à mesure qu’il se libère de ses habitudes, d’une consommation vengeresse et de l’agitation stérile qui l’avaient mû jusque-là, la vérité se fait jour.

Il bouge encore raconte cette odyssée sédentaire qui lui rend la vue.
Jennifer Murzeau analyse la dérive d’un homme et le naufrage d’un couple de façon crue et chirurgicale. Elle dresse le tableau d’une époque ou la réflexion et les questionnements sont des actes de résistance.

Editions : Robert Laffont  ♦ Date de parution : 21 août 2014 ♦ Nombre de page : 270 p. ♦ Prix : 18,50€

Avant tout, je remercie Vendredi Lecture et les éditions Robert Laffont pour l’envoi de ce roman qui, pour moi, est une réussite.

Le monde dépeint par Jennifer Murzeau, celui de l’entreprise, m’est totalement étranger : même si j’ai déjà travaillé, je suis encore étudiante. Et pourtant, ce livre m’a touché. Jennifer Murzeau nous montre l’incidence du travail dans notre vie et cela nous concerne tous. En même temps, l’auteur dissèque au scalpel, incise, autopsie un couple fondé sur de mauvaises raisons : les besoins d’ascension, de beaux appartements et de belles voitures, le désir d’un homme « successfull ». Au final, c’est un couple fondé sur de faux-semblants qui nous est présenté.

Ce tableau brut, cinglant mais intelligent, nous offre le portrait de notre époque et plus encore des êtres que nous sommes et du dictat ambiant de la performance sociale. L’entreprise y est dépeinte. En tout cas un certain genre d’entreprise : celle qui peut broyer ses salariés avec un seul mot. On ressent alors toute la honte que peut éprouver un Homme suite à son licenciement. On vit l’abattement, la peur du regard des autres, de ne pas réussir à boucler ses fins de mois et de ne pas retrouver du travail.

Jennifer Murzeau nous entraîne dans un gouffre, dans la terreur que l’on peut ressentir en se retrouvant sans travail. Cependant, pour le personnage principal, un jeune cadre dynamique, le licenciement engendre une prise de conscience ; prise de conscience de la superficialité de ses relations amicales, de sa relation amoureuse, de ses ambitions, mais aussi de la société de laquelle il évolue.

Antoine, une fois sorti de son été léthargique, évolue donc. Il se questionne et devient capable de prendre des décisions personnelles. Il se rend compte qu’il a longtemps été un bon petit soldat, qui ne se posait pas de question quant à la cruauté et à l’égoïsme avec lequel il atteignait les objectifs de l’entreprise. Il prend conscience que sa situation ne le satisfait pas autant qu’il le croyait. Mélanie, au contraire, reste bloquée sur son objectif, sur le mythe de son homme « successfull » et sur son désir d’enfant alors qu’Antoine souhaite encore attendre. Fatalement, Mélanie n’est plus satisfaite des aspirations d’Antoine…

L’auteur emploie des mots très durs, très cinglants. On lit les pensées d’Antoine, ses états d’âme mais ensuite c’est au tour de Mélanie de parler, de nous confier sa vision des choses. Les mots sont vraiment durs, blessants. On sent l’amour s’effriter (si amour il y a eu), la haine monter. La violence des échanges se mêle à la retenue du couple. Décidément, ils n’ont rien en commun.

On pourrait rire du côté caricatural des personnages, de l’entreprise telle qu’elle nous est présentée. Mais sont-ils vraiment des caricatures ?

En conclusion, pour moi ce roman est une réussite. Je ne comprends pas pourquoi on n’en entend pas plus parler. Ce livre n’est certes pas joyeux, mais il est un parfait tableau de notre société contemporaine et à tout d’un grand roman.